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Soigner sa blessure

Le titre du récit de Marie Darsigny, Encore, évoque le mantra bien caché de quiconque connaît la profondeur insondable des désirs inextinguibles.

Thématique·s
Récit

Le titre du récit de Marie Darsigny, Encore, évoque le mantra bien caché de quiconque connaît la profondeur insondable des désirs inextinguibles.

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Dans une honnête tentative d’éclairer les tenants et aboutissants de la toxicomanie, Marie Darsigny signe un livre qui n’a pas la prétention de détenir la vérité ni même l’intention de la chercher. Ayant elle-même vécu plusieurs épisodes de dépendance, l’autrice évite les ornières des lieux communs et avance à tâtons au milieu de ses lectures et de ses souvenirs, sans toutefois truffer le texte de détails scabreux qui nourriraient un sensationnalisme bon marché. Tout se dessine plutôt dans les marges, où se retrouve souvent la personne en proie à la dépendance, retirée d’un monde sans repères qu’elle peine à interpréter, et où elle a encore moins sa place.

Chercher refuge

Un des premiers préjugés à abattre en ce qui concerne la toxicomanie est la désorganisation du sujet. Lorsqu’il consomme, celui-ci peut paraître inopérant dans la structure sociale, hiérarchisée selon des principes d’efficacité et de rendement capitaliste, quoiqu’il excelle souvent dans l’art de bien cacher son jeu. La part d’ingéniosité que déploie la personne dépendante pour rester dans la partie montre que le manque d’intelligence n’est pas en cause. La rigueur essentielle aux stratégies qu’elle mobilise afin d’obtenir les moyens financiers et temporels nécessaires à sa survie, sans compter les mensonges qu’elle multiplie, exige une pleine maîtrise de soi qui n’a rien à envier au plus habile des gestionnaires. Ainsi, la personne toxicomane songe d’abord à survivre avant de vivre. L’existence lui paraît étrangère et rédhibitoire: «“Être normale”: une notion que je n’ai jamais vraiment assimilée», écrit Darsigny. D’où la nécessité, en consommant, de voir la réalité sous une autre forme. Allégée du poids de la conformité, dont elle ne maîtrise pas les codes, la personne dépendante s’enlise dans une zone de confort qui signale en même temps sa destruction: «Lentement, mais sûrement, un jour je me réveille et je ne peux plus m’arrêter.» Pour que le·a toxicomane s’extirpe de ce manège, la simple volonté, stéréotype très largement répandu, ne peut à elle seule venir à bout de cet abîme.

Mais la vie est difficile pour tout le monde. Pourquoi une personne tombe-t-elle dans les rets de la dépendance, tandis qu’une autre y échappe? La question reste à ce jour sans réponse, et si plusieurs hypothèses sont mises de l’avant, aucune ne suffit à débroussailler le maquis. L’autrice patauge en eau trouble et essaie vaillamment d’en faire jaillir du sens. La décision de ne pas écrire une histoire de salut et de rédemption, qui viendrait s’ajouter à celles déjà racontées, et le refus d’appréhender le problème d’une seule manière donnent beaucoup de panache au livre. Cependant, le manque de cohésion du récit disperse la pensée, confrontée à des segments épars, à des réflexions tous azimuts dont le propos semble plus ou moins abouti. En même temps, le parti pris d’une conversation à bâtons rompus reflète bien les espaces vacants laissés par les questions relatives à la toxicomanie, et rappelle les vides que la personne dépendante s’évertue à combler.

La route est longue

La forme parcellaire d’Encore rappelle un miroir brisé, surface fracassée et éparpillée qui fragmente le tableau d’ensemble. Le fait que l’écrivaine n’ait pas choisi un angle d’approche défini à son sujet rend sa démarche difficile à saisir. Elle se révèle toutefois courageuse et importante, même si Darsigny ne souhaite pas investir le schéma de la superhéroïne, «car oui je me suis cassée, j’ai bien failli y passer, mais je n’ai jamais fini par m’achever, pas complètement». Qu’il n’y ait pas vraiment de débouchés aux idées et avenues proposées démontre que les chemins empruntés vers la «guérison» sont nombreux. Peut-être que la boucle n’est jamais bouclée pour le·a dépendant·e: ielle doit apprendre à vivre avec son sentiment d’incomplétude. Car lorsqu’ielle sort du gouffre, la vie n’est pas pour autant devenue facile, et les raisons pour lesquelles ielle a consommé sont toujours là. La personne dépendante entretient un rapport entier avec sa substance: il lui faudra chaque fois détourner le regard, prendre un détour, se souvenir que cette sensation d’absolu est un subterfuge, une feinte, et «faire le deuil de cet amour que rien ne pourra jamais égaler».

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Marie Darsigny
Montréal, Remue-ménage
2023, 176 p., 19.95 $