les cellules de ma langue
maternelle et paternelle
ont quitté Mattawa et Burlington
débarqué dans le Nord
1986; colloque anti-nucléaire
c’était l’amour
et ils m’ont offert un 50% ambré
ma pointe de tarte au sucre
parentale patriarcale
coloniale minoritaire
migratoire sur place
elle évolue
donc elle existe
notre langue fourchue
pour une école dynamitée
dans le Bouclier canadien
un parent à la fois
un enfant à la fois
un procès à la fois
tous pour la cause
de nos néo-identités
franco-xyz
qui ne figurent pas
dans les dictionnaires
mais dans les flammes
de notre parole
alors tirez-vous des bûches
créer ici
c’est créer partout
où je passe m’abandonner
encadrer mon rétroviseur
appeler mes parents mon frère
à tous les dimanches soirs
un jour
rentrer à la maison
péter par mille fois que
Yellowknife c’est aux TNO
que c’est de là que je viens
que je viens de quelque part
de quelques parts
des quelques-uns qui sont partis
et de ceux qui sont restés
créer ici c’est
inventer ma réalité
au fil des statistiques
qui me croient déjà morte
qui m’ont poussée
à partir à mon tour
apprendre à aimer
aimer à apprendre
faire 3200km
et ne plus jamais
reprendre le volant
pour naviguer Winnipeg
il suffit de piétiner
les vers et la poésie sur les trottoirs
se vendre comme de la baguette chaude
pour gagner son pain
en frappant aux portes de ses voisins
sardines coude-à-coude
un même bassin
pour les commérages
mariages
vernissages
lancements
premières
et quand on n’est pas
parmi les premières
des premiers arrivés
notre présence marque
comme un coup de hache
à la souche de l’arbre
mais je fais bourdonner
une voûte et je danse
d’un pont à l’autre
entre les îlots urbains
et les rivières de mots
qui ont coulé roucoulé
un hier collectif
et j’existe
sous le microscope empathique
de mes communautés
je fais le plein d’art
j’envie, j’hésite
je me vide le réservoir
je crie quand même
car créer ici
c’est balbutier
me corriger
imiter des accents
qui ne m’appartiennent pas
fantasmer sur Montréal
comme je m’ennuie
de l’hiver sec et subarctique
de mon enfance
marcher dans deux sens
le muscle de la langue
étreinté
taire un instant mes complexes
me ruer sur scène
prendre le micro
chanter à tue-tête
faire fi de tous les attachements
géographiques écrire simplement
ce que j’ai
sur le cœur
ma grand-mère
elle a baissé la voix
si je suis là aujourd’hui
si je serai là demain
c’est que je me dois de créer
avec toute la violence vive
de son assimilation
Amber O’Reilly est une poète, slameuse, autrice de théâtre et scénariste multilingue originaire de Yellowknife, et établie à Winnipeg depuis 2013. Boussole franche, son premier recueil de poésie, a été publié en novembre 2020 aux Éditions du Blé.