Sur Mort et naissance de Christophe Ulric:
Bien des passages de la première partie me touchent beaucoup par le «naturel profond», que je ne saurais définir autrement que par ces mots, sinon en disant que c’est ce qui me touche dans la prose de Nerval, de Katherine Mansfield, quelquefois aussi de Rilke, de P.J. Jouve et d’autres que j’oublie. C’est à la fois tout à fait imprévu, logiquement inconcevable et évident, c’est l’expérience laissée longtemps aux intempéries, le bois devenu bois de grange gris avec une texture de velours et plus de dureté pourtant qu’à l’origine. Pour la deuxième partie, je me perds dans les buissons qui sont peut-être sublimes quand on les survole, mais moi je m’égratigne partout. Ceci dit, c’est une impression incompétente et sans conséquence. (le 7avril 1979)
Sur Les silences du corbeau:
Je termine la relecture des Silences du Corbeau et me suis fait de petites réflexions que je te livre à la suite. D’abord, j’ai été frappé par une présence-intensité-dépouillement qui – tiens-toi bien! – m’a fait penser au Journal de Bernanos. Ce rapprochement, portant sur le ton, est peut-être bizarre, mais enfin, il m’est venu. J’ai suivi Alexandre dans les tortures de l’introspection, errant sur des sables mouvants loin de son sol. Et quand il se rappelle son sol (par exemple avec sa sœur sur la terre), il me fait merveilleusement penser au passage d’Au-dessous du volcan où le consul rêve de s’établir au Canada. Sur son rocher au bord du lac, Alexandre est prodigieux. Pourquoi, me dis-je, a-t-il laissé le rocher pour «ressasser l’obscurité des cœurs» (page83)? Qu’arriverait-il s’il chevauchait son «cœur romantique» (page18) sur son sol en tenant fermement les rênes? Je m’égare. Il me ramène à sa véritable stature (en bas de la page48): ses racines repoussent, et comme elles sont vulnérables, sensibles, il est entièrement saisissant: «Moi qui mets des heures et des jours à me remettre d’une simple mélodie, d’un souvenir ou d’un étang…» (page191). Ne t’en remets pas Alexandre, surtout pas, autrement nous sommes perdus! […] Décidément, cet Alexandre est parent du consul Geoffrey Firmin, mais voilà, c’est un consul paysan, et c’est ce qui le sauve. Le corbeau des champs le rappelle à son fond. Je suis sûr que ce corbeau arrive à tire d’ailes de la Mauricie. (le 26 juillet 1987)