Dans Une année terrestre, son troisième ouvrage aux éditions du Noroît, Sarah Brunet Dragon présente une chronique sincère et sensible de sa grossesse ainsi que de son accouchement.
Dans Une année terrestre, son troisième ouvrage aux éditions du Noroît, Sarah Brunet Dragon présente une chronique sincère et sensible de sa grossesse ainsi que de son accouchement.
J’ai rencontré Sarah Brunet Dragon il y a cinq ou six ans à l’occasion de la remise du prix Émile-Nelligan, pour lequel son premier recueil, À propos du ciel, tu dis (Le Noroît, 2017), était en lice. Nous avons discuté, surtout jasé voyages, si je me rappelle bien. À la fin de la cérémonie, nous sommes disparu·es chacun de notre côté. Tout ça pour dire qu’Une année terrestre revêt à mes yeux un caractère particulier. C’est un peu comme si l’autrice de Cartographie des vivants (Le Noroît, 2018) m’avait envoyé une lettre pour me donner de ses nouvelles; pour m’apprendre, à moi et à quiconque ouvre ce recueil, qu’elle est récemment devenue mère, que la grossesse a été une expérience marquante, mais que, tout compte fait, elle va bien maintenant.
Le moment présent
L’écriture accessible de Brunet Dragon m’a frappé à la lecture. Les poèmes abordent le quotidien le plus prosaïque: «Au téléphone tous / me rappellent que ma fille / n’est toujours pas née / et que bientôt / si ça continue on devra / la faire sortir.» Descriptifs, les textes saisissent une pensée, une anecdote ou une impression à l’instant où elle surgit, comme autant de photographies de moments fugaces. L’authenticité des scènes découle de leur proximité avec la parole, à laquelle la versification naturelle confère un vernis poétique. L’ensemble n’est pas dénué de beauté:
Les difficultés
comme les joies prennent
des proportions
abyssales
et sur ma peau les bleus
tracent une carte du ciel
que je m’épuise
à décoder.
Comme on le voit, les textes de Brunet Dragon conservent l’acuité de son premier recueil, où l’expression synthétique à l’extrême accentuait l’intensité de l’émotion liée à l’exploration du rapport entre une fille et sa mère. Dans Une année terrestre, l’énonciation est plus relâchée, pour ne pas dire plus libre; l’autrice préfère le vrai au beau. L’écriture est captation. Elle relate l’attente qui contraint la poète: «Chez nous le présent / dans mon ventre / ondoie doucement.» Pour l’écrivaine, la maternité se révèle une expérience corporelle qui l’enracine dans l’instant.
La suite du monde
L’enfant à naître expose les femmes à la dépossession. On les touche, on leur donne des conseils, comme si leur existence était désormais d’intérêt public. De plus, leur corps devient, entre les mains médicales, un moyen de mettre au monde un être autre que soi. Il est beaucoup question des rituels de la maternité dans Une année terrestre. Les visites à l’hôpital, les cours prénataux, les suggestions de la part des membres de l’entourage constituent l’arrière-plan de l’écriture:
Le cadran sonne.
J’ai rendez-vous avec
une nouvelle acupunctrice.
C’est notre dernière chance
après-demain le travail
devra être provoqué
à l’hôpital.
Je suis prête à tout.
Mis bout à bout, les poèmes racontent le devenir-mère de l’écrivaine. Les évocations documentaires sont accompagnées de passages sensuels, où l’autrice apprivoise, non sans ironie, l’étrangeté de ce qui lui arrive:
Mon sang
ne circule plus.
À la place il s’accumule
dans mes jambes
façonne des abeilles
au bout de mes doigts.
Je pèse mille tonnes.
L’impulsion mémorielle au cœur de sa démarche fait en sorte que Brunet Dragon conserve à mon avis trop de textes, notamment dans les deux premières parties. L’ouvrage de cent quatre-vingt-neuf pages aurait pu être un peu mieux élagué, surtout que les poèmes qui évoquent l’attente manquent parfois de relief. Cependant, le récit gagne en vigueur vers la fin du recueil, lorsque l’autrice décrit son accouchement et la peur qu’elle éprouve à l’idée que la santé de son bébé soit menacée. Même si j’ai trouvé le dénouement fleur bleue, pétri de beauté et d’espoir, dans «la douceur des géants» et «l’indocile beauté / des bêtes et des / nouveau-nés», je dois reconnaître que le fait de savoir que la poète et sa famille vont bien m’a fait plaisir.