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Triompher du risque

Le recueil de Marie Hélène Poitras, Galumpf, au titre pour le moins intrigant, est puissant et merveilleusement écrit, avec beaucoup de finesse. À lire et à savourer.

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Le recueil de Marie Hélène Poitras, Galumpf, au titre pour le moins intrigant, est puissant et merveilleusement écrit, avec beaucoup de finesse. À lire et à savourer.

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Je le dis d’emblée: j’ai beaucoup aimé Galumpf, et ce, dès la première page. Suit donc une critique… pas très critique, mais plus difficile encore à écrire que celle d’un livre dont les défauts sont évidents. Comment expliquer ce que l’on aime? Comment nouer pour d’autres le lien qui s’est créé spontanément en soi? Comment trouver les mots justes? Emprunter ceux de l’autrice m’a paru la meilleure approche.

Dans le dernier texte du recueil, l’essai «Écrire, monter», Marie Hélène Poitras précise comment sa passion pour les chevaux et son amour de l’écriture se rejoignent: «[J]’écris comme je monte, les deux gestes naissent du même élan, tirent leur origine d’une fureur semblable.» Plus loin, elle compare la façon de diriger un cheval au geste d’écrire:

[I]l faut […] par un jeu de petits doigts et de répartition du poids, agir sur l’amplitude de la foulée, jouer dans la mécanique du galop. […] J’aborde d’une manière semblable le tempo de la phrase, avec la même obstination perfectionniste, mais surtout […] à l’intuition. C’est une impression qui part du corps.

Après être montée à cheval, l’autrice, lorsqu’elle se mettait à écrire, faisait appel à l’énergie «frémissante» qu’elle ressentait: «Aller où ça palpite, entrer dans les zones d’ombre, [me] frayer un chemin et voir où cette avancée me mènerait en soupesant la part du risque […] et tenter d’en triompher.»

Jeu d’ombres et de lumière

Des zones d’ombre, il y en a dans toutes les nouvelles de Galumpf. Certaines, comme «Depuis que les églises ont des trous dans le ventre», sont adoucies par des moments de tendresse, tel cet amour naissant entre deux jeunes rebelles, dont la narratrice dit cependant à la fin du texte: «[O]n prendra nos jambes à notre cou pour aller je ne sais où.» La lumière est éteinte lorsqu’on retrouve cette femme dans «Le trou noir de Montréal», et qu’une prostituée, la prenant pour une rivale, l’attaque avec sauvagerie. Après s’être relevée péniblement, la narratrice s’engouffre «à nouveau dans le trou noir comme dans [s]on propre tombeau». Elle réapparaît dix ans plus tard dans «Fin de règne», au moment où elle décide de quitter l’homme qu’elle a suivi jusqu’alors. «N’entends-tu pas les étoiles s’évanouir autour de nous?» lui demande-t-elle. «Au bout de ma nuit, je veux entrer dans la lumière.»

Pourquoi aimer les histoires de personnages qui ont perdu «toute capacité d’empathie», et que la narratrice décrit en ces termes: «La ville nous recrache comme la mer rend ses noyés»? Parce qu’ils sont vrais. Parce qu’on les comprend jusqu’à l’évidence. Parce que l’écrivaine ne se laisse jamais emporter par les mots, mais demeure «où ça palpite», dans le réel.

La tendresse, la passion et la mort

Galumpf présente aussi d’autres protagonistes touchants, mais moins ténébreux: la narratrice qui s’émeut du sort de «La petite fille qui avait un trop gros chien», et dont le chum insiste pour qu’il n’arrive pas malheur à l’enfant; l’employée d’«Exercices d’empathie» qui, malgré ses efforts, n’arrive pas à aimer ses semblables, mais tente de sauver une perruche et des poissons rouges d’un incendie; monsieur Pelletier, l’animateur de «Lignes de nuit», qui répète à ceux et celles qui l’appellent pour «lui confier leurs doutes, leurs soucis et leurs tourments»: «Vous n’êtes pas seuls.» Cependant, il affirme à une chroniqueuse qui l’interviewe: «Nous sommes seuls et il n’y a pas de juge.»

Deux nouvelles particulièrement réussies mettent en évidence le lien unique entre un·e cavalier·ère et son cheval. Dans «Chasseurs sauteurs», l’arrivée d’un jeune étalon fougueux excite les juments de l’écurie et éveille chez la narratrice «le désir de le conquérir. Comme s’il était un homme». «La chute» raconte l’inconsolable douleur d’un cavalier, dont la monture s’effondre durant une compétition, et «l’ultime cadeau» de quelques secondes que lui offre son cheval pour lui donner le temps de «poser le pied à terre sans s’écraser sur lui». Éros et Thanatos.

Quant au mot «Galumpf», il vient de l’enfance, et lorsque la narratrice le retrouve dans son livre jeunesse préféré, elle se réjouit: «Rien n’avait changé. Tout était intact.» Il n’est donc pas anodin que «Galumpf» soit aussi le titre de la nouvelle précédant «Fin de règne», où la protagoniste qui se croit damnée veut réapprendre «à rire pour vrai».

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Marie Hélène Poitras
Québec, Alto
2023, 192 p., 24.95 $