Dans ce journal d’un immigré mexicain installé à Montréal, on découvre, sur un mode halluciné, comment une société se débarrasse des éléments qu’elle considère comme exogènes.
Walter Vaca, fraîchement immigré du Mexique, rêve de devenir un Québécois modèle. Il a choisi de résider dans le quartier de Rosemont, à Montréal, où la population est bien blanche, contrairement à d’autres arrondissements. Il a beau ne rien connaître encore de la société québécoise, il est capable de déterminer dans quels quartiers vivent les gens, selon leur couleur de peau et leurs origines. C’est ainsi que s’ouvre le livre, par ce choix de Rosemont et une description démographique «raciale». Sauf que ce quartier de l’est de la ville offre une autre particularité: il n’est peuplé que d’oisif·ves, des retraité·es pour la plupart, ainsi que de quelques chômeur·ses. C’est le royaume des têtes blanches et des marchettes, des rideaux qui frémissent au moindre passant: les vieillard·es contrôlent le quartier.
La fin d’un rêve…
On s’en doute: le rêve québécois se fracasse à toute vitesse pour Walter, contraint d’habiter un appartement très modeste et de travailler comme homme d’entretien dans un hôtel – apparemment le seul débouché professionnel offert aux Latinos, à qui on fait comprendre qu’il n’y a pas mieux à attendre, ni maintenant ni plus tard. «Il semblerait que je ne sois pas le premier Latino à faire le ménage à l’hôtel. Une [des réceptionnistes] a insinué que les maisons dans nos pays doivent être immaculées, car le souci de la propreté est quelque chose que nous avons dans les gènes», consigne Walter. En effet, c’est son journal que nous lisons, s’échelonnant du mois d’août 2015 au mois d’avril suivant, dans un dispositif où l’auteur ne serait que le traducteur du texte original en espagnol. Les conditions de travail sont pénibles, mais c’est surtout le regard du reste du personnel – les réceptionnistes qui ricanent sur son passage, le directeur irascible et imbu de sa personne – qui affecte Walter.
À l’hôtel, il se fera son seul ami, Youssouf, un immigré marocain qui arrondit ses fins de mois en volant du matériel de l’hôtel, avec la complicité de «son épouse voilée». Sa vie est sinon sous le signe d’une grande solitude: Walter comprend qu’on l’isole volontairement, lui le Mexicain venu troubler la torpeur gériatrique de Rosemont.
... et le début d’un cauchemar
On ne peut pas dire non plus qu’il ne se passe rien dans ce quartier réputé tranquille. Un aveugle nommé Sim, qui se dit immortel, semble y faire régner sa loi; il a évidemment pris pour cible Walter. Surtout, un nouveau locataire s’est installé dans l’appartement voisin de celui du héros. Physiquement, cet homme ressemble tellement à Walter que ce dernier a cru avoir une hallucination. En réalité, c’est un Blanc aux habitudes étranges, qui montre à Walter un trou dans le placard permettant à leurs appartements de communiquer. À partir de l’apparition de ces deux personnages, le récit prend un tour inquiétant et s’achemine vers une intrigue paranoïaque à laquelle semble résister Walter, qui s’accroche à son rêve de se marier, d’ouvrir son restaurant et de changer le regard des gens sur lui – à moins qu’au contraire, toute cette histoire ne se passe que dans sa tête.
L’antisepsie est le premier livre publié par la jeune maison d’édition Amnios, une anagramme du mot «maison», nous indique le site Internet, mais aussi du nom de l’enveloppe du fœtus en gestation: l’ambition est de «diffuser l’avant-garde littéraire et artistique». Edwin Bermudez, qui a déjà beaucoup écrit, mais peu publié, a passé son enfance au Québec et son adolescence en Colombie, d’où sont originaires ses parents, avant de revenir à Montréal. On lit dans son livre une attention portée vers le regard de celui pour qui tout est neuf, même si des explications compensent parfois un peu vite les interrogations du personnage, et leur justification, introduite par «on m’a dit que», ne cadre pas tout à fait avec le grand isolement qu’il est censé vivre. C’est un monde assez caricatural qu’il nous décrit (sur les âges de la vie, les origines culturelles, les relations entre les hommes et les femmes, les subalternes et les patrons, les Blancs et les autres), avec un humour un peu comme dans un dessin animé: «[E]n rentrant dans les toilettes de la réception pour les nettoyer, je vois la pointe des souliers de cuir marron de M. Hippolyte dépasser en dessous de la porte métallique.» Les questions de racisme sont intriquées à la trame d’une sorte de cauchemar, et donc traitées sur un mode plutôt expressionniste; on sent l’ambition de l’auteur d’avoir voulu faire un objet esthétique. On pourra penser que le but n’est pas toujours atteint, mais après tout, c’est un premier livre.