L’INCUBATEUR EN DEVENIR est une métaphore de vie s’il fallait essayer d’éclairer les voies de la création incubateur aux déploiements imprévisibles aux incertitudes aux limites qui rôdent par-delà la somme d’énergie requise pour y être entre deux pro- jets philosophiques entre deux poèmes dans l’interstice inapparent du social au cœur des mots il m’a fallu un abîme de sommeil de rêveries diurnes prélevé depuis mes heures de qui-vive adolescentes il m’a fallu une foule de choses éprouvées vues entendues advenues au travail au hasard Europe & Amérique du Nord déceptions politiques moult locomotions animales bivouacs un instrument de musique mains souffle vibrations sans mot aucun sur une autre sorte de portée AU FOND UNE SÉRIE de dépaysements qui cassent toute possibilité d’engrenage dérèglent tout embryon de système esquive le genre répétition de certitudes ad nauseam à cause de ces délais presque intolérables à concevoir je me suis dit «fini la poésie» cela fut possible pendant vingt ans soulagement prévisible puis «fini la philosophie» mais je me suis toujours trompé sur l’immense géographie des aléas des désirs fous et des ascèses qui à sa manière réverbérait d’anciennes circonvolutions du cerveau ou un système fractal d’échos dans le muscle cardiaque oui la terre entière aspire avec toi flux ininterrompu lignes de fuites lorsqu’on désobéit aux petits dogmes religieux, culturels, politiques pour enfin retrouver l’écriture mentale de chaque matin J’AI SOUVENT PARLÉ de mes entreprises de mes initiatives mais ces mots laissent entendre des résultats d’intentions ligne droite un déploiement concerté il n’en est rien quelque chose devait doit advenir doit donc être créé sans assurance aucune très embêtant à chaque fois le corps en travail tout croche la langue est démunie désarmée face à l’évidence de chaque case vide case à occuper édifier animer en ce qui s’y manifestera toujours une course contre la mort ai-je déjà écrit naïvement ne pouvoir que son possible gagner du temps dans l’évidence solaire de ce continent massif du sans traces rempli de trous et de grafignes où quand comment c’est le seul pourquoi LA PHILOSOPHIE COMME LA POÉSIE paraissent favorisées sur le terrain de chaque génération quand elles sont perçues comme simples chiquenaudes ou considérées avec esprit sceptique quand elles paradent s’étalent pontifient prophétisent dans leur hautaine critique du réel le pire service est celui de l’abstraite défense de la poésie ou de la philosophie toujours filandreux si creux toi tu décryptes tu bosses dans les souterrains donnant congé à ces ego concierges astiqués croquemorts méditons les aventures potagères du Concombre masqué: «Comment eurêker ici-bas alors que des éléphants occupent toute la baignoire?» on excusera le brin de réalisme J’AI TOUJOURS ÉPROUVÉ la philosophie comme une expérience absolue de tout l’être absolument étrange dans sa simple possibilité entre le sublime et l’ordinaire cela remonte à l’adolescence j’apprécie les philosophèmes ou les poèmes qui en résultent quand ils offrent une trace quelconque de cette épreuve énigmatique un complexe aveu que je pourrais toujours contresigner je recopie les traces d’un embrayeur à chutes me maintenant en position d’un hiatus le concept de chien / ne hurle pas pas très original je ne saurais estimer ma contribution fantomatique à la tribu des penseurs pur voyage sémantique à réfléchir anciens documents violences et histoire en souffrance rudiments-dépouilles-restes-franges pour un artisan des quatre saisons elle n’explique rien de plus l’universalité gît à travers les débris du lieu elle interdit aussi de tirer profit de ma démesure mon ubris intérieur j’avoue la philosophie ne m’a jamais purifié ni apaisé empêtré plutôt dans le mélodrame de l’infantile in the wilderness no more able to write about a classified subject about a typical problem I want to show the process how history works in the blackish backstage plus rien à attendre des promesses de la philosophie intrus devenais-je les femmes écrivaines depuis longtemps incarnées dans leurs coulisses ont tout saisi de ses tabous elles n’ont pas besoin d’un messie IL NE M’EST PAS FACILE de brûler des textes philosophiques que je trouve plus ou moins réussis quelque chose retient ma main la guitare peut être les harmoniques en peine je les laisse quelque part pendant des saisons des années sachant que les idées les saillies vont pouvoir ressurgir autrement dans des conditions imprévisibles ô l’éternel retour des éléments du langage est-ce par un amour propre un orgueil suspect je ne sais trop mais j’ai déjà brûlé un objet Mobiles cendres déposées dans une jarre sur le haut de la bibliothèque déjà découpé en lanières deux «papiers collants» dans quelques pots de confiture cuisiner les restes de ce qui enferme i. e. le livre en tant que livre geste de vie symbolique puisque terre à terrain que reste-il d’une vie de recherches philosophiques? un verbe à l’infinitif et une ombre qui chantonne au bord de l’Un mon nom est cendres et désir con fuoco mon nom fut action in situ gefühlvoll mon nom est statuette à repêcher dans le fleuve d’un Nouveau Monde AU-DELÀ DES LIMITES de ce qui frustre apparemment le moi de toute satisfaction et de tout pouvoir on découvre la puissance de l’impouvoir une région nouvelle pour être ancienne archaïque la région où tout se tait en y séjournant on ne regrette rien on s’aperçoit que joies beauté fraternité qui n’étaient que mots incertains ont trouvé un réel fulgurant dans des conditions qui leur étaient les plus contraires avec oui avec rythmes de désastres trop humains écologiques écraser ce double silence beauté-fraternité condamne la philosophie à ne plus savoir ce qu’elle dit merci la vie tel quel vie infime vouée au kairos ON NE TROUVE JAMAIS LA LIGNE où s’arrêtent les répercussions d’un événement historique où s’étiole la portée d’une œuvre on n’arrête jamais de rêver la ligne d’horizon «Notre vie s’use en transfigurations» Rilke dixit oui ruminer le paysage de Baie-Trinité ses blocs erratiques celui du phare de Pointe-des-Monts un macaque en devenir se figure l’entremêlement des sangs tracé aux confins d’une nouvelle aventure si l’élégance suprême d’un poème ou d’un philosophème fait disparaître le travail d’écriture elle n’efface pas les circonvolutions du cerveau les échos du muscle cardiaque je pense comme une touffe de saxifrages frémit au vent ma liberté je note une idée une saillie une forme brève solution entre le roc et l’eau sans parenté pour me souvenir pour que d’autres humains revisitent y rejaillissent à leur manière propre au cas où la mort serait au rendez-vous avant même l’abîme d’un nouveau sommeil de vivant abîme d’une nouvelle rêverie AINSI L’INCUBATEUR UNIVERSEL est la métaphore géologique de ce qui ose ou non s’appeler les mille facettes de la création l’utopie est création qui rompt la flèche du temps advienne autre chose la terre entière aspire à se comprendre depuis des siècles survol artisanal sous la Voie lactée soudain j’entends une phrase pas encore devenue citation un petit morceau dans le puzzle d’une coulée de lave: les secrets de la poussière et des désirs et des traces continentales passent par l’antichambre de l’alphabet.
*Texte revu extrait de Coulisses, La Compagnie à Numéro, 2020; éditeur sis à l’Atelier-Librairie Le Livre voyageur, Montréal.
Robert Hébert est un éducateur, écrivain et philosophe expérimental. Il a publié récemment Derniers tabous (Nota Bene, 2015) et Monsieur Rhésus (Nota Bene, 2019). Pour les esprits curieux, voir Dalie Giroux et Simon Labrecque (dir.), Robert Hébert: la réception impossible, PUM, 2021.