Avec son troisième ouvrage, le poète Jonathan Roy poursuit sa réflexion sur l’état de la société contemporaine et confirme l’importance de sa voix dans le paysage littéraire acadien.
Avec son troisième ouvrage, le poète Jonathan Roy poursuit sa réflexion sur l’état de la société contemporaine et confirme l’importance de sa voix dans le paysage littéraire acadien.
Après avoir fait paraître Apprendre à tomber en 2012, puis le magnifique Savèches à fragmentation en 2019, Jonathan Roy, directeur du Festival acadien de poésie de Caraquet, propose, toujours aux éditions Perce-Neige, mélamine méduse. Ce recueil s’inscrit dans la suite du précédent, comme le suggère le poème liminaire. La mélamine et les méduses étaient effectivement présentes en filigrane dans Savèches à fragmentation. La force de l’auteur est de puiser autant dans la mythologie que dans la culture populaire pour définir un état du monde entre l’individuel et le collectif.
Entre le Soi et l’Autre: le néant
Séparé en trois grandes parties, «Mélamine», «Méduse» et «Alors nous revoici (peut-être)», mélamine méduse est surtout écrit au «je», parfois au «nous». Chaque texte est précédé d’un exergue provenant ici d’un poète acadien, là des paroles d’une chanson. Le premier poème donne le ton au livre, alors que le locuteur avoue de manière laconique: «je ne sais rien». Certes, l’ignorance constitue déjà un savoir sur soi qui nourrit l’ensemble de la proposition. Par ailleurs, la poésie de Roy n’est pas sobre: elle n’hésite pas à faire appel aux sacres ou à la langue anglaise sans jamais tomber dans l’exotisme de l’accent acadien. Une certaine hébétude habite l’écrivain, qui semble négocier difficilement son appartenance au monde.
je suis dorothée dans sa tornade
je suis évangéline sans GPS
et je ne sais pas ce que je fais là
si je marche sur l’eau ou sur des œufs
pourquoi l’air de rien me tourne
autour
dans le grand fuck all enveloppant
J’évoquais plus haut les entrecroisements de mythes et de références populaires qu’on retrouve dans mélamine méduse. Le locuteur se sent tellement inadéquat que la vie n’est pour lui qu’un jeu vidéo. Cette existence se renouvelle d’ailleurs à coups de jetons. Jouer des parties à répétition meuble le temps qui passe. je suis david contre goliath
je suis huit milliards contre moi-même
[…]
un hadôken après l’autre pour rallumer
les ampoules
dans mes paumes frénétiques l’espoir
d’un gros move
d’un finish him de temps en temps
d’une étincelle
dans le beurre noir d’un autre
décompte
d’un autre continue d’un autre 25
cennes
pour s’acheter une vie pour encore une
game de
mortal street fighter mashup combat
pour tuer le temps
Notons qu’une méduse, l’animal marin, ne possède ni squelette, ni cerveau, ni poumon, mais sa structure sensorielle est bien développée. On pourrait alors croire que cet aspect séduit l’écrivain. À tout prendre, son souhait se révèle bien différent: «je veux me réincarner en mélamine / immortelle en surface informe lisse et lavable et / sans personnalité particulière en statue de sable». La mélamine n’est pas un produit noble, mais elle s’inscrit dans une modernité à laquelle Roy ne veut ou même ne peut pas appartenir. En fait, un peu comme chez Patrice Desbiens, le rôle du poète semble souvent le disqualifier. Roy dresse un constat, mais sa posture ne lui permet pas de se transformer ni de changer le monde.
Forme et musicalité
À la suite de la lecture de ce recueil, j’émets une seule réserve. Les poèmes de mélamine méduse sont longs, et le propos est dense. On se demande si la dernière partie de l’ouvrage ne dilue pas la puissance des deux principales sections. Le créateur acadien comprend que la poésie fonctionne surtout comme un agencement de mots nourris par une langue sonore. Pour le dire autrement, on sent que sa formation littéraire a influencé sa prosodie. Entendre le poète sur scène vaut le détour. Dans l’extrait suivant, qu’il faut lire à voix haute, les allitérations témoignent d’une parfaite maîtrise de la forme.
et les doigts lestés
de bagues immenses
d’orgasmes flasques
de fausses promesses
l’histoire ostineuse s’entête
à couvrir ses traces
Le livre mélamine méduse ne présente peut-être pas l’effet de surprise du précédent recueil de Jonathan Roy. Toutefois, cette nouvelle parution s’ajoute à un univers poétique riche, parmi les plus pertinents de l’Acadie contemporaine.