Dans sa deuxième pièce, Dominique Leclerc prolonge avec rigueur et sensibilité sa réflexion sur le posthumanisme.
Dans sa deuxième pièce, Dominique Leclerc prolonge avec rigueur et sensibilité sa réflexion sur le posthumanisme.
Après Post humains (L’instant même, 2019), Dominique Leclerc poursuit son exploration autofictionnelle des multiples enjeux relatifs à la modification du corps humain par la technologie. I/O (pour input/output), un texte créé en 2021 au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui dans une mise en scène de l’autrice et d’Olivier Kemeid, a été publié en février 2023 par Atelier 10. «Dans I/O, explique Leclerc, l’input est surtout composé des récits qui m’ont formée, et l’output, des récits que je formule à mon tour.»
(Se) poser des questions
Formuler des questions cruciales à propos du posthumanisme et du transhumanisme, c’est la première grande qualité de la démarche de Leclerc. On perçoit bien entendu de l’inquiétude dans les interrogations sur les avancées spectaculaires des biotechnologies, ou encore sur les conséquences du refus, chez l’être humain, de sa propre mortalité, mais se manifestent également une vive curiosité et une authentique quête de vérité.
Privilégiant la rencontre, la créatrice s’est entretenue avec divers·es penseur·ses, philosophes, scientifiques et militant·es. Alors que certain·es comptent remédier par tous les moyens à ce qu’ils et elles considèrent comme les défaillances de l’espèce humaine, d’autres souhaitent plutôt que la transformation s’opère dans le respect de la nature, en évitant les pièges du dualisme et de l’anthropocentrisme. L’objectif n’est pas de condamner quelque conception que ce soit, mais de s’assurer que ces enjeux d’importance sont abordés, discutés, sérieusement soupesés.
«Je navigue au quotidien sur des plateformes dont le modèle d’affaires repose sur la monétisation et la manipulation de mes comportements», explique Leclerc, toujours dans son avant-propos. Elle ajoute:
À l’heure actuelle, plusieurs de ces sociétés investissent massivement dans des projets biotechnologiques qui (re)pensent l’avenir de la santé. Cela suscite en moi autant d’espoirs que d’appréhensions. Car en rêvant le couplage du corps humain avec la technologie, elles bousculent notre rapport à la finitude, au vieillissement, à la reproduction, à l’environnement, à la mort.
Un mausolée
Ici, comme dans sa pièce précédente, les motivations de la dramaturge sont à la fois intimes et collectives. Atteinte de diabète de type 1, elle avait fait de cette condition médicale contraignante la bougie d’allumage de Post humains. De manière comparable, I/O trouve sa source dans une réalité qui concerne directement l’autrice. Par la maladie et la mort imminente de son père, Leclerc est plus que jamais confrontée à l’idée de sa propre disparition, soudain ramenée à sa posture de «femme à l’obsolescence programmée» qui cherche, au moyen du théâtre, à «reprendre le contrôle de son legs».
Avec le scénographe Patrice Charbonneau-Brunelle et le vidéaste Jérémie Battaglia, qui ne disent pas un mot, mais dont les actions sont fort significatives, la créatrice édifie un mausolée rempli d’artefacts, «un témoignage des temps présents», «une archive pour les humains de demain». On y trouve des vêtements, des jouets, des outils, des objets banals, mais symboliques, emblématiques d’une époque ainsi que de son rapport au monde et de ses aspirations. En refusant d’opposer la science aux affects, en alternant délicatement les souvenirs d’enfance avec les extraits d’entrevues et les fragments d’une vie de famille ébranlée par la disparition du père, Leclerc sollicite la tête autant que le cœur: elle met en relief la surpuissance de l’espèce humaine aussi bien que son immense vulnérabilité.
Tromper la mort
«Je ne détiens pas encore de solution concrète pour remplacer mon enveloppe corporelle en perdition, déclare Leclerc. Mais notre époque nous prépare lentement à ces options. D’autres corps. D’autres formes. D’autres incarnations. Le futur s’annonce excitant. Multiple. Déroutant. Assurément autre.» On apprend ainsi que pour tromper la mort, les expérimentations les plus inusitées sont en cours: de la thérapie génique à l’intelligence artificielle, de la géoingénierie à la cryogénisation, de l’impression humaine à l’édition génétique.
Dans sa postface, Julie-Michèle Morin, doctorante au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal – où elle mène des recherches sur la robotique en arts vivants –, offre un judicieux conseil:
Une politique du vivant se joue à l’intersection des sciences, des technologies et des affects, et il m’apparaît bienveillant de prendre soin de nos postures critiques à cet endroit. Ainsi, plutôt que de considérer la science et ses technologies comme une force homogène et monolithique, c’est quelque chose comme une relation d’amitié qu’il nous faut inventer.