Les féministes de la première vague ont pu rallier nombre d’hommes à la cause et s’en faire des alliés. Si leur participation aux changements était essentielle, leur silence «coupable» a peut-être assez duré.
Les féministes de la première vague ont pu rallier nombre d’hommes à la cause et s’en faire des alliés. Si leur participation aux changements était essentielle, leur silence «coupable» a peut-être assez duré.
Je dois être honnête avant de commencer: j’attends cet essai depuis quarante ans. La parole des hommes sur leur rapport au féminisme, dans les sphères privée comme publique, est plutôt timide. Les Québécois ont bien compris qu’il fallait laisser les femmes mener leur révolution en évitant de s’approprier leurs luttes qui, précisons-le, ont transformé la société en profondeur. Dès lors que l’idée d’égalité entre hommes et femmes s’est imposée, les revendications féministes ont donné lieu à des avancées importantes – équité salariale, implantation d’un réseau de garderies, accès à la contraception, droit à l’avortement – qui ont redéfini les rôles genrés d’une manière définitive. À preuve, le mouvement #MeToo et l’apparition de la question «nouvelle» du consentement sexuel; à preuve, Mickaël Bergeron, qui sonne le réveil de ses congénères masculins avec Cocorico: les gars, faut qu’on se parle, un essai documenté, au propos engagé et sans équivoque, reten-tissant comme un cri du cœur. Et de ralliement.
«Ne soyez pas des hommes d’acier, soyez des hommes bambous! (Je blague!)»
Le titre du livre de Bergeron, journaliste et chroniqueur quarantenaire, paraît trivial. La couleur orange fluo de la couverture, dépouillée de toute image, donne un aspect «criard» à l’objet lui-même, mais on ne peut certainement pas reprocher à son auteur de chercher à attirer l’attention, du moment qu’il espère être lu et entendu des principaux destinataires. Après tout, n’interpelle-t-il pas les «gars»? Le niveau de langue du titre reflète le ton privilégié, étonnamment familier par endroits: «Comme dirait l’autre, aimez-vous, crisse!»; «Arrêtez de vous bullshiter. Et respectez le consentement des autres.» Le choix d’une telle tonalité n’empêche pas l’écrivain d’étayer son propos, références et chiffres à l’appui. Un parcours rapide de la table des matières révèle la variété des sujets («Boys will be boys», «Toxic pop!», «Manger comme un homme», «Gros pénis», «Robots et princesses», «Le cœur tout croche»), et l’urgence qui s’en dégage à la lumière des constats qu’il reste encore à faire du côté des hommes («Ça ne va pas bien», «Capitalisme et masculinité», «Bouclier masculin», «Des hommes en colère», «La culture du silence», «La facture»).
«Pourquoi je parle d’avortement alors que j’ai envie de m’adresser aux hommes?»
La question posée par Bergeron dans son chapitre «Parlons sexe» fait écho au malaise que j’éprouve en écrivant cette critique. Qui suis-je pour apprécier réellement la «leçon»? Cocorico n’apprend rien aux femmes. Qui s’en étonne? L’objectif ici «n’est pas d’expliquer ce qu’est le sexisme ni d’exposer la nécessité du féminisme», bien que la démonstration soit claire. Difficile, par ailleurs, de ne pas se sentir «voyeuse» en lisant certains passages: je pense à celui où l’auteur confie avoir eu, plus jeune, un comportement déplacé envers une amoureuse, montrant ainsi «que le problème ne réside pas que dans les intentions du geste, mais dans ses conséquences».
Je crois qu’il est important, étant donné la nature de ce livre et de ma démarche, de jouer cartes sur table et de partager ces gestes qui pèsent sur ma conscience, même si dans la plupart des cas, il y a eu une discussion et des excuses.
On peut ensuite lire une longue lettre (fictive?) adressée à la femme avec qui il s’est mal conduit. La mise en contexte se termine, en fin de paragraphe, par une demande de pardon réitérée: «Je m’excuse de t’avoir touchée sans ton consentement pendant ton sommeil. / Je m’excuse d’avoir insisté. / Je m’excuse, c’était abusif. / Je m’excuse, c’était invasif.» Le ton familier devient alors plus intimiste, et même si l’essayiste se défend de vouloir culpabiliser qui que ce soit, son pari est audacieux: à quel point les lecteur·rices se sentiront-ielles interpellé·es par son parti pris en faveur d’un examen de conscience qui pourrait se révéler douloureux?
Plus qu’un essai sur l’urgence d’un dialogue entre hommes, cet ouvrage me semble une ode à l’amour, «le plus puissant moteur de changement». Mickaël Bergeron ne fait pas l’économie de détails biographiques à propos de sa quête amoureuse et de son rapport au sexe. En cela, il est certainement «exemplaire». J’espère que son livre rencontrera un large public, d’abord masculin.