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Archéologie intime

Mathieu Gosselin ose un premier solo autofictionnel, un monologue sensible où il entre courageusement dans la lumière.

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Théâtre

Mathieu Gosselin ose un premier solo autofictionnel, un monologue sensible où il entre courageusement dans la lumière.

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Depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2001, Mathieu Gosselin a coécrit plusieurs textes, notamment Ils étaient quatre (L’instant même, 2015), avec Mani Soleymanlou, et Éclats et autres libertés (Dramaturges éditeurs, 2012), avec Marie-Josée Bastien, Étienne Lepage et Jean-Frédéric Messier. Après La fête sauvage et Province, des pièces à plusieurs personnages destinées à ses collègues de la compagnie La Banquette arrière, le comédien-auteur signe Gros gars, une partition qu’il a imaginée pour lui et qu’il a livrée à La Licorne (2021) et au Prospero (2023), dans une mise en scène de Sophie Cadieux.

 

Valse hésitante

Dans cette œuvre autofictionnelle publiée aux éditions Somme toute, Gosselin explore son don peu commun pour remettre une tâche à plus tard: «À travers les méandres de toutes mes procrastinations lumineuses, écrit-il dans sa brève préface, j’ai décidé de faire un spectacle. Un spectacle tout seul.» Afin d’«éclairer certaines parties qui perdent de leur lustre dans le passage de la scène à la littérature», l’auteur a judicieusement parsemé son texte d’interventions en italique. Ces didascalies ne manquent pas d’humour et flirtent avec la psychanalyse.

Dès les premières pages, on découvre une prise de parole, dans le sens le plus audacieux du terme; une parole à la première personne, sans masque, ni faux-semblant, ni pudeur. C’est à l’évidence le fruit d’une authentique introspection. Pour donner forme à son histoire, cette «valse hésitante», ce chemin rempli de «fabuleux culs-de-sac», le dramaturge entrelace tout naturellement la musique, la poésie, le rap et le stand-up. Il excelle à provoquer les rires, mais il n’est pas rare que son sens de l’autodérision l’amène à tenir des propos très durs envers lui-même:

Moron sale

Débile immobile

Bouffe gras

Faible faiseux

Fossile de sofa

Mange marde

Coin de table

Mother butcheux.

 

Portrait poétique

Au milieu du livre, osant s’aventurer dans la «caverne» de l’adolescence et s’engager dans ce qu’il appelle une «archéologie intime», Gosselin dévoile une sélection de ses poèmes de jeunesse, des vers qui ne sont rien de moins que le point de départ et le cœur du spectacle:

Joyaux d’intensité impolis.

Balbutiements stylistiques naïfs.

Éclats ténébreux d’inexpérience.

Mais aussi

Mains tendues

Perles de désespoir

Pastiches amoureux

Et

Essais de verve rassembleuse.

Apportant beaucoup de nuances à la description du jeune homme, cette sorte de déposition poétique, imprégnée des influences de Miron, de Gauvreau et de Baudelaire, révèle les abîmes du découragement et les étincelles de bonheur propres à l’adolescence.

En dialogue avec son alter ego, Gros gars, celui qui préfère vivre dans le passé au lieu d’affronter le présent, Gosselin, né en Montérégie en 1978, brosse un savoureux portrait de son passage de l’adolescence à l’âge adulte, n’hésitant pas à faire apparaître les ombres aussi bien que les lumières. Il y a le rap et le punk, le basketball et la lutte, Samantha Fox et l’Égypte ancienne, les rêves de publication et de célébrité, sans oublier une virulente critique de l’individualisme:

Pendant que le Nous geint

Pendant que le Nous gît

Pendant que le Nous râle

Et agonise

Le Je prospère en fou

Avale et recrache tout

Digère

Vide

Suce jusqu’à la moelle.

 

Finir ou ne pas finir

Intitulée «Les miens», la dernière partie du livre (quelques pages qui vont droit au cœur, où chaque mot est crucial et déchirant) vaut à elle seule la lecture entière de la pièce. D’abord, ironiquement, alors qu’il est lui-même engagé dans un monologue à caractère autobiographique, l’auteur livre un vibrant plaidoyer en faveur du dialogue et de la fiction, et exprime son engouement pour le rêve ainsi que l’imagination. Il donne aussi à lire une poignante lettre d’amour à ceux qui «sont arrivés ben avant et seront là ben après»: «Les miens s’agrippent / Les miens meurent / Mais les miens restent fidèles à leur feu.»

Ensuite, comme pour nous achever, l’homme de théâtre s’adresse à ses enfants: «Vous êtes mon premier nous / Celui qui rend fort, fier et humble / Celui qui prolonge l’envie d’absolu.» Puis à son amoureuse: «Ton sourire donne le signal à mon corps de s’arrêter / Et de prendre un instant / Pour s’inonder de joie.» Juste avant que le rideau tombe, Mathieu Gosselin fait la paix avec lui-même, sa propension à la procrastination et le concept de finalité en général: «Je pense que l’idée que les choses ne se finissent jamais m’apaise.»

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Mathieu Gosselin
Montréal, Somme toute
La Scène
2023, 136 p., 19.95 $